Miroirs
#2
Tout est paysage

Biennale Art Contemporain et Patrimoine, parc d’Enghien


De 14h à 18h - tous les jours du 8 au 23 septembre 2018

Tout est paysage

Texte de Stéphane Lambert, écrivain
www.stephanelambert.com

Longtemps ce ne fut qu’un coin dans la composition picturale, un simple détail en arrière-fond, avant de servir de décor pour accueillir des scènes de genre. Un sujet était requis pour justifier l’oeuvre et le paysage n’en était pas un. Cela prit des siècles pour qu’il s’impose en véritable motif alors que par nature il prévalait sur tout autre. “Dieu” avait créé le jour et la nuit, les eaux, le ciel et la terre, la végétation et les arbres, le soleil et la lune, avant les hommes. Peindre le paysage c’était un peu comme revenir à un temps où l’on n’existait pas. Après avoir célébré la beauté des éléments, l’artiste avait voulu pénétrer le mystère qui s’en dégageait. Et s’approchant de son objet, s’enfonçant dans ses couleurs et ses formes, il avait rejoint l’abstraction. Le paysage était encore un horizon – presque une fête. Mais quelques décennies avaient suffi à opérer le grand renversement. Une ombre avait envahi le tableau. Le paysage n’était plus déductible de l’empreinte des hommes. Le bucolique avait laissé la place à un autre sentiment pour lequel il manquait un adjectif : il y avait dans ce que l’on voyait cette autre chose que l’on savait – qui menaçait sa pérennité (sa joie). Hiroshima, Fukushima, l’ère nucléarisée avait donné des images à l’apocalypse. L’art était désormais confronté à l’idée d’un après-paysage. Comment créer dans la décomposition ? Et pourquoi ? Que valait l’art dans un champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement ? La question contenait sa réponse. Là où venait cruellement à manquer ce qui fonde, là où l’harmonie s’était désagrégée au profit d’un inquiétant chaos, la nécessité d’un geste qui compose, d’une vision qui donne forme au trouble toujours plus aigu d’être là, ne s’imposait-elle pas davantage encore dans un tel contexte ? Tout est paysage, affirmait Dubuffet, en ce sens que tout est composition, tout est quête d’une unité perdue, tout est signes assemblés, tout est matière à être embrassé du regard, à interroger le vivant au-delà de soi-même. Visage. Corps. Arbre mort. Tout ce qui traverse l’espace du réel est en droit d’être appréhendé par le lien qu’il nous tend. Tout ce qui noue une émotion se doit d’être traduit. Que vaudrait sans ça le monde si on le laissait entre les seules mains de la dévastation, si l’essence poétique qui nous y attache envers et contre tout ne l’ouvrait pas à des entendements insoupçonnés qui nous font voir dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ? Tout est paysage car tout paysage est dépassement.

Stéphane Lambert,
mai 2018.